Paul Auster et le Club lecture

Numéro 62: 3/5/2024 Objectif stratégique : , Blue Pool Road Actualités 1ère

Mort de l’écrivain Paul Auster

Le grand écrivain américain Paul Auster, francophile averti, vient de nous quitter. Le Club lecture a souvent échangé autour de ses œuvres, et notamment L’Invention de la solitude, Pourquoi écrire ?, Bloodbath Nation, et Baumgartner, son tout dernier roman.

L’Invention de la solitude, Paul Auster.

Publié en 1982, il s’agit de la première œuvre publiée par l’auteur qui ne soit pas une traduction ou un texte poétique. Entre autobiographie et réflexion érudite, l’œuvre se divise en deux parties : « Portrait d’un homme invisible » et « Le livre de la mémoire ».

Dans « Portrait d’un homme invisible », Auster construit le portrait de son père, récemment décédé, et dont il doit vider la maison pour la vendre. Le tri des affaires dans la maison de son père, qu’il ne voyait plus beaucoup depuis de nombreuses années, déclenche à la fois une quête, tournée vers cet homme, son père, qui se révèle plus mystérieux qu’il n’ne avait l’air, et une introspection, l’auteur se sentant devenir davantage encore un père, puisque son propre père est mort et qu’il a lui-même un jeune fils, Daniel. A la recherche du père perdu, Auster découvre un événement traumatisant de l’enfance de celui-ci, le meurtre de son grand-père par sa propre femme. Revenant sur les habitudes et les traits de caractère de son père, Auster comprend l’influence déterminante de cet événement, qui a fait de son père un être absent aux autres et presque absent au monde.

Dans « Le Livre de la mémoire », l’auteur divague et, convoquant à la fois ses souvenirs d’enfance, son expérience de père, et sa culture, analyse le fonctionnement de la mémoire (volontaire et involontaire), les relations entre père et fils, ou le rôle du hasard. Ce texte informe, un peu déroutant, constitue la matrice de toute l’œuvre à suivre, avec des textes aussi divers que le roman policier postmoderne La Trilogie newyorkaise, ou Moon Palace.

Pourquoi écrire ?, Paul Auster

L’auteur nous raconte cinq courtes histoires qui, toutes, échouent à réaliser le programme annoncé par le titre. Toute sauf la dernière, ou du moins les dernières lignes de cette histoire.

Dans le premier récit, Auster raconte une anecdote impliquant une de ses amies. Rappelons d’abord que chez Auster, tout est autobiographique – le baseball, Brooklyn, l‘attention portée aux individus ordinaires et aux lieux banals – et que rien ne l’est complètement :  l’atmosphère de roman policier… Pour ne revenir à cette amie de Paul Auster, celle-ci a perdu les eaux après avoir regardé la première partie de l’Histoire d’une nonne, film hollywoodien des années 50. Quelques années plus tard, elle perdit les eaux et donna naissance à son second enfant après être tombée sur le même film à la télévision (il n’y avait pas Netflix, à cette époque, et le téléspectateur était dépendant de la programmation). Elle n’eut plus jamais d’autre enfant.

Dans le second texte, Auster raconte que sa fille, trébuchant dans l’escalier, avait failli passer par la fenêtre située au bas de celui-ci, mais qu’il avait réussi, presque miraculeusement, à la rattraper.

Dans la troisième histoire, Auster rapporte un épisode traumatique de son enfance (c’est l’histoire la plus célèbre de ce livre). Alors qu’il participait à un camp de vacances – une sorte de camp de scouts – avec des moniteurs plutôt préoccupés par le perfectionnement de leur lancer au basketball que par l’exploration de la nature environnante, il perdit un ami, foudroyé, juste à côté de lui, alors que le groupe était enfin parti en excursion.

Dans la quatrième nouvelle, un prisonnier dans un camp allemand, pendant la seconde guerre mondiale, se voit attribuer une correspondante belge. Après la guerre, il se marie avec elle. Mais alors que les deux familles se rencontrent à l’occasion du mariage de leur fils avec une Allemande, les deux pères se reconnaissent : l’un était le gardien allemand dans le camp où était emprisonné le père belge.

Enfin, pour conclure le recueil, Auster rapporte une visite, avec sa famille, dans le stade des Giants – équipe de baseball de New York City. Fasciné depuis toujours par tous les grands joueurs de son temps, il rencontre l’un d’entre eux ce jour-là. Il parvient non sans peine à trouver le courage de lui demander un autographe. Le joueur accepte et demande à l’enfant s’il a un stylo. Celui-ci n’en a pas, son père non plus, ni sa mère, ni aucune des personnes les accompagnant. Le joueur hausse les épaules et laisse le petit garçon de huit ans à ses regrets. Celui-ci pleurera pendant toute la durée du trajet qui le ramène à la maison. L’auteur ajoute que, depuis, il est toujours accompagné d’un stylo. Parce qu’après tout, l’on peut toujours être tenté de s’en servir, comme il le rappelle souvent à ses enfants…

Bloodbath nation, Paul Auster

Les textes d’Auster alternent avec les photographies en noir et blanc de Spencer Ostrander. Le propos est de rechercher les causes profondes de l’addiction américaine pour les armes à feu. Selon l’auteur, ce phénomène est lié aux deux péchés originels de la nation américaine : la conquête de territoires appartenant à des Indiens et l’esclavage. Dans les deux cas, les armes à feu étaient nécessaires et devaient être largement répandues, afin de maintenir la domination des premiers Américains sur les terres qu’ils contrôlaient. Un troisième facteur a ensuite aggravé la situation, selon Auster. Il s’agit de l’individualisme forcené promu par le capitalisme à l’Américaine. Le texte d’Auster peut rappeler la croisade de Voltaire contre l’intolérance religieuse dans le Traité sur la tolérance, publié en 1763. Il multiplie les perspectives afin de démontrer la nécessité de réformer la société.

Baumgartner, Paul Auster

Dans son dernier roman, publié en 2023, l’auteur reprend certains des thèmes abordés dans L’Invention de la solitude, son premier récit daté de 1982. Le personnage principal, Baumgartner, un professeur d’université à la retraite, se replonge dans les souvenirs de sa vie de couple et, parfois à l’aide d’archives telles que de vieilles lettres ou un journal intime retrouvé, il reconstitue les parties manquantes de son existence. Le lecteur comprend que la majeure partie de sa vie présente est dorénavant occupée par une plongée dans le passé, et que rares sont les êtres vivants qui viennent peupler ses journées. Il est difficile de ne pas voir dans ce récit retournant aux sources de son inspiration, une sorte de testament littéraire pour l’auteur, aujourd’hui atteint d’un cancer.

Yanis LOGGIA
Teacher

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