L’école d’aujourd’hui

Numéro 49: 12/1/2024

Pendant ces vacances, j’ai enfin pris le temps de lire l’ouvrage de Claude Lelièvre L’École d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire (édition Odile Jacob). C’est assez intéressant qu’un tel ouvrage éclaire ainsi le présent à la lumière du passé, particulièrement au mois de janvier, ce mois dont le nom provient du dieu aux deux visages (Janus), l’un regardant vers l’année qui s’achève, l’autre vers celle qui commence.

Ce regard bidirectionnel nous invite à revisiter certains de nos préjugés. Ainsi, on se représente volontiers l’école de 1890, celle de la IIIe République comme l’école d’antan, celle où on prenait le temps de travailler les fondamentaux, le fameux « lire, écrire et compter » par exemple. Une école dans laquelle prévalait l’instruction plutôt que l’éducation. Or quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que l’école de Jules Ferry était tout le contraire.

Du temps de Jules Ferry, on parlait d’ailleurs déjà des anciennes méthodes :

« Les hommes d’ancien régime dans l’enseignement primaire sont un peu surpris de ce que nous entreprenons ; ils sont même un peu choqués ! Mais, disent-ils, est-ce que, autrefois, avec les anciennes méthodes, avec le programme restreint à lire, à écrire et à compter, on ne faisait pas des élèves sachant bien lire, écrivant correctement, comptant à merveille, comptant et écrivant peut-être mieux que ceux d’aujourd’hui, au bout d’un an ou deux d’école ? Cela est possible ; il se peut que l’éducation que nous voulons donner dès la petite classe nuise un peu à ce que j’appelais tout à l’heure la discipline mécanique de l’esprit. Oui, il est possible qu’au bout d’un an ou deux, nos petits enfants soient un peu moins familiers avec certaines difficultés de lecture ; seulement, entre eux et les autres, il y a cette différence : c’est que ceux qui sont plus forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, tandis que les nôtres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes. » (Discours de Jules Ferry au Congrès pédagogique des inspecteurs primaires du 2 avril 1880)

Je découvre même un Jules Ferry adepte des méthodes modernes, de ces pédagogies actives qui mettent l’élève au cœur des apprentissages. En effet, dans une conférence aux instituteurs, son lieutenant, Ferdinand Buisson, fait valoir que la bonne méthode d’enseignement, « c’est celle qui dit au maître, il faut vous faire aider dans votre tâche. Par qui ? Par l’élève lui-même. C’est votre collaborateur le plus efficace. Faites en sorte qu’il ne subisse pas l’instruction, mais qu’il y prenne une part active […]. C’est ce qui distingue l’éducation du dressage : l’une développe des dispositions naturelles, l’autre n’obtient que des résultats apparents à l’aide de procédés mécaniques ».

Le présent n’est qu’une perpétuelle réinvention, un recyclage du passé, et nos audaces pédagogiques ne sont souvent que les résurrections des expérimentations d’antan.

Je vous souhaite une excellente nouvelle année.

Yann Houry
Directeur de l'innovation pédagogique & technologique

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