L’Histoire est à notre porte, le lycée français au milieu d’un ancien champ de bataille

Le 20 mars 2017, le Lycée Français International (LFI) de Hong Kong a été mentionné dans un article du Hong Kong Free Press: un historien amateur nommé Philip Cracknell a retrouvé des bunkers datant de la Seconde Guerre mondiale vandalisés. Situé à Wong Nai Chung Gap, le site est jonché d’ordures, et couvert de graffitis, dont certains sont rédigés en français. Les élèves du lycée, à une centaine de mètres de l’endroit, sont évidemment présumés coupables. Ces dégradations ont fait réagir la communauté locale et expatriée. Face à ces évènements, l’administration et les élèves du lycée, directement touchés, se sont unis afin de réagir au mieux et de montrer tout le respect qu’ils portent au pays qui les accueille et à son histoire.

Suite à la réception d’un message de Philip Cracknell l’informant de la situation, le Proviseur, Monsieur Soulard, prend immédiatement les choses en main. Contrairement à ce que craignait l’historien, il ne nie pas la probable responsabilité de certains élèves. Au contraire, accompagné des élèves, il promet de faire tout son possible pour tenter de réparer au mieux les dégâts commis. Des interventions ont lieu dès le lendemain dans les classes pour revenir sur le poids historique des lieux et insister sur la gravité des faits. Des actions concrètes sont mises en place, à l’initiative de l’administration, des professeurs et des élèves: une classe de Première est allée, par exemple, nettoyer les bunkers, revenant avec plusieurs sacs de déchets accumulés au cours des années.

De nombreux élèves se sont sentis personnellement touchés par cette affaire. Nous avons demandé leur avis à deux d’entre eux:

Baptiste Van Gaver, 1ère ES: Cette histoire m’a déçu pour deux raisons. Tout d’abord, je suis un fan de Street Art, et je considère que ce qui a été fait au Bunker n’est que du vandalisme – contrairement à ce que les coupables devaient penser. Ensuite, je suis convaincu qu’il est nécessaire de conserver ces vestiges car ils ont une valeur historique et spirituelle pour la population de Hong Kong et ceux qui se sont battus ici. C’est inacceptable, et je suis ravi de voir que les gens ne restent pas passifs face à cela.

Edouard Chardot, 2nde: En tant qu’élève du LFI, je suis profondément attristé de voir le comportement de certains élèves. Au travers de nombreuses interventions et conférences, la direction de l’école a toujours dénoncé le vandalisme et l’atteinte aux biens publics. Il est important de nous rappeler que nous sommes “invités” à Hong Kong et qu’à ce titre, nous devons non seulement respecter les lois locales mais aussi représenter la France avec exemplarité.

Les élèves découvrent les échos insoupçonnés de la Deuxième Guerre mondiale

A la demande de nombreux élèves qui souhaitaient connaître plus exactement les évènements ayant eu lieu à Wong Nai Chung Gap lors de la Seconde Guerre mondiale et en apprendre plus sur les sites historiques qui les entourent, le lycée a invité l’historien Philip Cracknell à organiser une visite des lieux avec quelques classes. Heureux de cette volonté d’apprendre et ravi de pouvoir partager sa passion et le fruit de son travail, il a accepté. La classe de Première ES1 a inauguré ce cycle de visite, le 29 mars dernier.

Enthousiastes de finalement explorer des vestiges qui nous entourent quotidiennement et qui nous sont pourtant inconnus, nous rejoignons Philip Cracknell à Parkview, au-dessus de l’école, vers 9h30. La visite commence par des bunkers difficiles d’accès dans les collines: jamais nous n’aurions soupçonné l’existence de telles structures à quelques mètres de la rue. Philip Cracknell présente au long de la visite l’histoire de soldats ayant combattu dans les lieux que nous traversons. Nous sommes tenus en haleine pendant trois heures, malgré quelques averses passagères et un ciel couvert.

Arrivés près d’une casemate où opéraient les artilleurs, nous nous faufilons un à un dans une petite fente dans le sol, la porte ayant été scellée. Nous découvrons l’intérieur du bâtiment: les murs sont sillonnés de cavités laissées par des grenades japonaises, lancées à travers les trous d’aération. Plus loin, nous explorons aussi un tunnel japonais inachevé, où nous faisons la rencontre d’une sympathique chauve-souris pendue au plafond.

L’expérience s’est terminée devant les édifices vandalisés, nommés en hommage au général de brigade canadien Lawson, mort en tenant une dernière sortie contre l’ennemi en décembre 1941. Nous sommes très touchés par le discours final de Philip Cracknell. Devant les graffitis polémiques, l’historien nous remercie de l’intérêt que nous avons porté à tout ce qu’il avait à nous apprendre et aux vestiges qu’il met tant d’énergie à protéger et à valoriser.

Décembre 1941, Wong Nai Chung Gap dans la tourmente

This is all wrong”. Telle a été la réaction de Winston Churchill le 7 décembre 1941 lorsqu’il reçut le télégramme du Commandant en Chef d’Extrême Orient britannique, exhortant l’envoi de troupes supplémentaires à Hong Kong. “If Japan goes to war there is not the slightest chance of holding Hong Kong”. Le lendemain, 8 décembre, environ 30 000 japonais passaient la frontière… C’est le début de la bataille de Hong Kong. Laissés sans renfort anglais, les soldats alliés présents se retrouvèrent largement dépassés en nombre, malgré le corps volontaire de défense hongkongais et les troupes canadiennes ayant rejoint le combat.

Les recherches de Philip Cracknell nous permettent aujourd’hui de mieux comprendre ce qu’ont vécu ces hommes, déterminés à défendre jusqu’au bout le territoire hongkongais face à une armée japonaise terriblement violente et nombreuse. Wong Nai Chung Gap, zone entourant notre établissement, a été l’un des points clés de la bataille de Hong Kong. Les lieux étaient en effet occupés par des troupes essentiellement canadiennes; 275 hommes qui se sont retrouvés, au matin du 19 décembre 1941, pris en étau par 6 000 soldats japonais ayant notamment débarqué à North Point et rejoint les hauteurs peu après.

Splinter proof shelters

Les édifices où logeaient les soldats, dits accomodation bunkers, sont pour certains toujours accessibles. Pouvant accueillir neuf à dix hommes, soit une batterie d’artillerie, ils faisaient environ 15 m2. A l’intérieur, il ne reste que des crochets. Nous ne pouvons que supposer leurs fonctions: certains utilisés pour soutenir les couchettes superposées, d’autres pour une lampe-tempête au plafond, et les derniers servant probablement à accrocher l’équipement des soldats. Nous imaginons l’austérité et la promiscuité des lieux. Parfois, il reste des rails pour les mitrailleuses devant les étroites ouvertures donnant en contrebas. Les portes et la fenêtre blindées étaient impénétrables, et les seuls points faibles de l’abri étaient les trous d’aération. Nous savons grâce aux traces laissées dans certains bâtiments que les Japonais y lançaient des grenades, tentant de blesser ou tuer le plus de soldats possibles.

Casemates d’artillerie

Les artilleuses opéraient depuis d’autres bunkers, appelés pillboxes, ou casemate en français. Ceux-là contenaient une tour d’observation, d’où les soldats pouvaient repérer l’ennemi. Camouflées par des rochers et du gravier, les casemates étaient percées de quatre à cinq trous d’où sortaient les canons des mitrailleuses. Le 19 décembre, les hommes de PB1 (pillbox 1) entendirent des pas au-dessus de leur tête. Les japonais les avaient trouvés. Ayant besoin d’aide, ils appelèrent en renfort la batterie de PB2 – qui ne pouvait agir car la casemate faisait face à la mauvaise direction. Les renforts à pied, arrivés de PB2, prirent les Japonais par surprise et une escarmouche commença. Dépassés en nombre, les Britanniques finirent par reculer: les Japonais emmenèrent avec eux les prisonniers valides. Les blessés s’étaient réfugiés dans la deuxième casemate: ils furent abattus par les Japonais. Les soldats morts et faits prisonniers dans les casemates de Wong Nai Chung Gap étaient issus des forces volontaires de défense et Hong Kong et des troupes canadiennes, surtout celles venues de Winnipeg.

The Black Hole

Le 20 décembre, presque tous les soldats des alentours s’étaient rendus. La plupart, enfermés dans leurs bunkers, souvent blessés par les grenades et sachant qu’ils n’avaient aucune chance, avaient accepté la défaite en échange de leurs vies. Certains ont eu la vie sauve. Mais les violences endurées par ces soldats alliés furent terribles: battus à coups de casques, de baïonnettes, de bottes, les prisonniers étaient à la merci de leurs bourreaux. De nombreux hommes perdirent la vie lors lors de ces passages à tabac.

Le reste des prisonniers fut enfermé dans une prison temporaire. Ils étaient 130 soldats, entassés dans une ancienne salle à manger, sans eau ni nourriture, blessés pour la grande majorité. Le site est aujourd’hui surnommé The Black Hole, c’est à 200 mètres du lycée, édifice peu trop vaguement signalé et mangé par la forêt. Quand les prisonniers ont du être transférés vers North Point, le trajet se fit à pied. Les hommes trop faibles pour continuer étaient abattus, leurs corps laissés sur les bords de la route.

Philip Cracknell explique que « La perte de Wong Nai Chung Gap fut cruciale. Des ripostes furent tentées le 19 et le 21, mais elles échouèrent toutes à reprendre la zone. C’était le début de la fin, plus qu’une question de temps [avant l’occupation]. Les troupes alliées devaient maintenant lutter dans une bataille perdue, et tenir [Hong Kong] le plus longtemps possible : ce qu’ils firent, jusqu’à la capitulation de 25 décembre 1941 ».

Philip Cracknell, chercheur de mémoire

Philip Cracknell est un ancien banquier britannique installé à Hong Kong depuis 1985. Il est aussi historien amateur depuis bien des années. Il a en effet quitté son emploi en 2013 pour se focaliser entièrement sur ses recherches sur l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale à Hong Kong.

Pour se frayer un passage parmis les nombreux historiens du monde académique, Philip Cracknell a dû se consacrer à plein temps à ses recherches: il a passé des heures dans les archives de Londres et sur le terrain, en apprenant de plus en plus sur les évènements qu’a connus Hong Kong en décembre 1941. Ses longues recherches lui ont permis de lancer un blog en 2013 qui atteint aujourd’hui 134 000 lecteurs. Après ces publications mensuelles, Cracknell s’est lancé dans la rédaction d’un livre sur la Bataille de Hong Kong qui devrait être publié fin 2017. L’historien propose aussi des tours sur les lieux de vestiges aux membres du Hong Kong Club, du Aberdeen Marina Club ou encore de personnes intéressées qui trouvent son adresse sur internet, ou par le bouche à oreille.

Son père était engagé dans la “Royal Navy” britannique déployée au Japon, cependant ce n’est pas cela qui a poussé Cracknell à débuter ses recherches. Ce qui l’intéresse particulièrement est l’expérience individuelle des hommes ayant participé à la Bataille de Hong Kong. L’approche de l’Histoire de Philip Cracknell est en effet profondément humaniste: il se concentre sur les détails, reconstitue à travers ses recherches ce qu’ont pu vivre les hommes engagés dans la défense de Hong Kong, bataille que l’on nomme the Fall of Hong Kong.

Il passe de nombreuses heures à faire des fouilles sur les lieux des batailles. Ses outils les plus précieux sont par conséquent les cartes géographiques d’avant-guerre pour se repérer, ainsi que son détecteur de métaux pour tenter de trouver des objets d’époque. De plus, pour trouver et contacter des descendants de soldats, Cracknell utilise tout simplement Facebook ou encore des sites internet de généalogie. Lors de ses recherches sur le champ de bataille, l’historien a trouvé par exemple deux bijoux anciens égarés par la guerre : une montre appartenant à un jeune soldat canadien de 21 ans et une plaque d’identification d’un soldat britannique de la Royal Navy. Ces deux trouvailles ont profondément encouragé Cracknell à poursuivre ses recherches : des objets précieux sont encore à découvrir et à ramener aux familles des propriétaires.

Lors de ses lectures de journaux intimes de soldats, Philip Cracknell nous raconte que l’émotion lui est souvent montée à la gorge. Il plonge réellement dans le passé à travers les connaissances qu’il acquiert au fil des ans. Ses recherches ont été rendues possibles par l’abondance de vestiges de la bataille, racontant chacun, si on sait chercher correctement, l’histoire de ce qui s’y est passé. « History is all around us« , nous dit-il. En tant qu’élèves du LFI, entourés des vestiges de la bataille de Wong Nai Chung Gap, nous sommes particulièrement concernés.

Lorsque nous avons demandé à Philip Cracknell ce qu’il répond aux historiens qui affirment que les histoires personnelles sont de la “petite Histoire” qui n’a pas d’intérêt face à la “grande Histoire”, il a répondu que d’après lui la petite histoire est intéressante car elle parle des hommes, comme lui et nous, qui ont vécu des péripéties passionnantes et pour la plupart extrêmement dures. De plus, dit-il, l’histoire de Hong Kong est forcément de la “petite Histoire” car elle n’a pas eu d’impact considérable sur le reste du conflit. Cependant pour la population hongkongaise, ou encore les descendants des soldats, c’est de la grande histoire, toute récente, qui marque une blessure encore profonde.

Les traces de l’histoire douloureuse qu’a vécu Hong Kong en décembre 1941 – la perte de la bataille ayant mené à trois ans et huit mois d’occupation japonaise très dure – sont encore présentes partout à Hong Kong. Nous croisons quotidiennement, disséminés dans toute l’île et les Nouveaux Territoires, des bunkers comme ceux de Wong Nai Chung Gap, nous côtoyons les lieux dans lesquels des hommes ont perdu la vie pour défendre la liberté. Il est important que nous en soyons conscients pour honorer leur action et transmettre l’Histoire.

L’accomplissement de ce devoir de mémoire n’est possible que grâce au travail acharné d’hommes qui dédient une grande partie de leur temps à reconstituer l’Histoire. Nous tenons à remercier Philip Cracknell pour son travail remarquable et le temps qu’il consacre à l’histoire de Hong Kong.

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